Portrait de Bernard G.

Bernard G. (1939) Un ouvrier métallurgiste proche de la nature

« J’ai toujours défendu la cause », « J’étais pas un virulent mais je défendais le beefsteak »

« Je suis encore d’avant-guerre » dit-il pour se présenter. En effet, il est né le 1er juillet 1939 à St-Jacques d’Ambur, rive gauche de la Sioule (Puy de Dôme).
Alors que son père travaillait déjà à l’usine Aubert et Duval, il entre en formation après le Certificat d’études décroché à l’école communale. Il apprend le métier de tourneur, fraiseur et ajusteur.
En 1957, il entre à l’atelier d’usinage mais précise qu’à l’époque les ateliers étaient désignés par le nom du chef de service. Le premier jour est impressionnant : « on ouvre [grand] les yeux », « Je ne m’attendais pas à voir des grosses machines ». Pendant trois semaines, il est formé par « un ouvrier qualifié mais qui n’avait pas de diplôme (…) et puis, je me suis retrouvé tout seul devant la machine ». Il précise aussi que le respect aux Anciens et le vouvoiement étaient la règle.
D’emblée, il souligne la solidarité des ouvriers dans cet atelier revendicatif où les syndicalistes de la CGT étaient nombreux. Une identité de l’atelier émerge : « Nous, on était unis dans l’atelier. C’est de là que sont parties les grèves. Deux cent personnes considérées comme des meneurs ». En effet, s’il n’est pas syndiqué, il a pourtant participé à toutes les grèves : « J’ai toujours défendu la cause », « J’étais pas un virulent mais je défendais le beefsteak ». Par contre, il fait allusion aux « faux-culs » qui, grévistes, se débrouillaient pour ne pas être vus par les chefs. Pour lui, dans la vie, il faut avoir le courage de ses positions. Néanmoins, il reconnaît que, selon ses mots : « les dernières grèves, ils me les ont fait payer cher (…) je suis resté au placard pendant 12 ans ». En d’autres termes, il n’a pu monter d’échelon.
Il insiste sur le rythme de travail (les 3/8) et le nombre élevé d’heures (56 heures dans les années 60). Il met en valeur le travail « sur des machines conventionnelles, et sans programme » : « il fallait sortir la pièce de ses mains et je peux vous dire que j’ai travaillé sur les trains d’atterrissage du Concorde ». On retrouve chez Bernard G, cette fierté d’avoir fourni des pièces au secteur de l’aéronautique.
Comme d’autres ouvriers métallurgistes interrogés, il ne développe pas une forte critique de l’entreprise. Evoquant notamment les étangs de pêche mis à disposition des employés, il déclare : « C’est pour ça que je ne critiquais pas la Maison. On n’avait pas de gros salaires mais il aurait fallu aller à Clermont et chez Michelin, s’il n’y avait pas eu Aubert et Duval. On était à 10 mn de son travail…et moi j’aimais la chasse, la nature…J’aimais tout ça ». Plus loin, il met en avant d’autres activités financées par Aubert et Duval : les nombreuses associations sportives (football, basket, gymnastique tennis, athlétisme, cyclisme) sans pour autant prononcer le mot de « paternalisme ». Par contre, il n’hésite pas à dire que les employés, aux profils de grands sportifs, étaient « pistonnés » notamment pour le logement.
L’absence de critique ne signifie pas un regard moqueur ou des pratiques transgressives : par exemple, il n’hésite pas à mimer l’allure stricte de certains chefs de services – des cadres – tout en ajoutant « Il aurait fallu saluer les machines (…) il fallait être au garde à vous » !!! De même, il raconte à mi-voix combien un jour il fut surpris par la visite de Jean Duval, alors qu’il était en train de faire « une bricole » pour un collègue. Comme dans d’autres usines, la pratique de la « perruque » existait.
Outre le travail quotidien à l’usine, il existe pour Bernard G. un ensemble de pratiques autour de l’usine : les bistrots près du tunnel (où se situait la première entrée de l’usine) et du « quartier nègre », les « camelots » tous les 15 jours au moment des payes et l’arrêt du car aux Ancizes de quinze minutes, permettant aux ouvriers le matin de boire leur chopine et de faire quelques courses.
Bien d’autres facettes de sa personnalité émergent de l’entretien. On sent combien son rapport à la nature est profond par la pratique de la chasse et de la pêche mais aussi par l’aide aux travaux agricoles dans le cadre de la ferme de sa belle-mère. En outre, il a toujours entretenu son grand jardin. On remarque au cours de l’entretien la présence de la nature dans cette vaste salle à manger : reproductions de peintures représentant des sous-bois et des fleurs parsèment les murs. Parallèlement, il donne une vision géographique des Combrailles : « C’est un plateau granitique et volcanique. Et la vallée de la Sioule, c’est magnifique ». Il dit y avoir passé des heures à la regarder en pêchant la truite.
C’est aussi un homme qui, intéressé par la vie politique, a des repères historiques : l’histoire des congés payés (1936, 2 semaines ; 1956 avec Guy Mollet 3 semaines ; Mitterrand 5 semaines) qu’il associe à l’action de la CGT, et la création des comités d’entreprise auquel Aubert et Duval se soustrayait dans un premier temps. Pour autant, son rapport à l’histoire n’est pas marqué par la conception historique de la CGT : les termes de domination, de capitalisme, de classes sociales ne sont jamais évoqués dans cet entretien.
Comme il l’affirme e dit, il a travaillé chez Aubert et Duval, a profité de l’espace rural et a fait construire sa maison, comme « beaucoup de gens ici » ! Il ne tient pas à individualiser son parcours. D’ailleurs, ce n’est pas tant son parcours professionnel qu’il décrit que son rapport à l’usine, aux autres, à la vie en général et à l’environnement rural.

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