Portrait de François C.

François C.

 Né en 1932, au hameau Les barras dans la commune de Chapdes-Beaufort, il appartient à une fratrie constituée de deux frères et d’une sœur. Ses parents étaient de petits agriculteurs : ils détenaient 15 vaches, 1 cheval et 30 moutons et « faisaient un peu de grain pour faire le pain dans le four à pain ». Il va à pied à l’école privée de Chapdes-Beaufort et acquiert à l‘âge de 15 ans le Certificat d’études (1947). Il aide son père à la ferme tandis que ses frères travaillent déjà à l’usine Aubert et Duval. Puis, à la mort de son père, en 1949, il « fait paysan aux Barrats dans le village ». Ses frères viennent l’aider après le travail en usine : « ils m’aidaient, couchaient à la ferme, mangeaient et repartaient à l’usine ». Pour des raisons non explicitées, en 1952, il entre lui aussi à l’usine. A cette date, la situation s’inverse et c’est lui qui désormais participe aux travaux agricoles après le travail à l’usine, en tout cas jusqu’à son mariage. Pour lui, la double activité est une pratique commune : « Toute une génération …. Tous les gars de mon âge ont fait cela …. A l’époque, il fallait faire les deux. Comme disaient certains : « ils vont à l’usine et mettent l’argent sur le tracteur »…Il y avait du vrai ». Lorsqu’on lui demande quel travail il a préféré, il hésite. Il reconnaît que jeune, « il aimait bien le métier de paysan, seulement ça n’amenait pas d’argent ». Et il rejette catégoriquement l’idée d’un regret d’avoir quitté la ferme : « Ah non, je n’ai jamais regretté le métier d’agriculteur, ma pauvre dame. Je n’aurais jamais cette maison si j’avais eu que l’agriculture ». Il précise l’horizon d’attente des jeunes hommes de Chapdes-Beaufort au début des années 1950 : « C’était Aubert et Duval ou Michelin. Ici, on aurait crevé de faim. Avec quelques hectares de terre, qu’est ce que vous vouliez faire ? Et avec des côtes comme ça ! » On ne saura pas s’il s’agit d’une forme de résignation mais il est sûr que le facteur financier a joué un rôle et sans doute aussi l’image de soi face aux jeunes filles. En effet, pour expliquer le choix de l’usine en 1952, un court silence prévaut puis il déclare : « Quand on voulait sortir, aller voir les filles, il faut des sous et on n’en avait pas … Les filles à l’époque, elles aimaient bien les gros paysans (qui avaient 15 vaches) mais elles aimaient bien aussi les ouvriers d’usine ….pour l’oseille …. Toujours la même chose, ma pauvre dame ». Effectivement, dans son récit, le salaire usinier est étroitement lié à des acquisitions matérielles. Il évoque le voyage à Clermont-Ferrand et avec ses deux premières paies l’achat d’un costume « pour être propre, aller au bal, à la fête du village », autrement dit participer à la sociabilité villageoise. En 1954, il achète une moto, une première forme de loisir et d’évasion. En 1957, avec sa mère, il achète un Pony, le fameux tracteur, symbole d’une première modernisation agricole. En 1959, il obtient son permis de conduire et acquiert ensuite une voiture – « la première du village », tandis qu’il achète un terrain pour faire bâtir une maison à Chapes-Beaufort, le bourg, pour échapper aux chemins impraticables menant au hameau des Barrats. A 19 ans et demi, il entre donc à l’usine : « J’ai eu beaucoup de chance, je suis rentré à l’usinage. On usinait les pièces selon la matière ». Il évoque sa première journée : « La première fois que je suis rentré, ça été très surprenant parce que je n’étais jamais entré dans une usine. Si vous écoutiez le bruit et les gars qui disaient : « ça fait 20 ans que je suis là ! » Non, ils sont fous, jamais je pourrais rester 20 ans là-dedans ! mais j’y suis resté 41 ans [de 1952 à 1992) ». De son expérience à l’usine, émerge le souvenir d’une formation « sur le tas » d’ajusteur qui va lui permettre de gravir les échelons et devenir P2. On sent une certaine admiration pour les tours géants qu’il faut maîtriser et pour les pièces usinées à destination de l’industrie aéronautique et/ou automobile. On perçoit aussi la dangerosité du travail à l’évocation d’accidents du travail disloquant les corps des ouvriers. On ressent aussi l’extrême fatigue due aux horaires postés et notamment à l’âge de 57 ans la dureté du travail de nuit. C’est à cette seule occasion qu’il évoque l’insensibilité de la hiérarchie : « Je leur ai dit combien c’était difficile mais ils n’ont rien voulu savoir. Il y a des gens qui ne se mettent pas à la place des autres. Ils ont leur place, les pieds dans leur souliers, bien tranquilles et une bonne paie, et les autres, tu te démerdes …. »

Bien qu’il reste réservé et ne nous livre que des bribes de son « quant à soi », il laisse donc percer les affres du travail à l’usine. Les 3/8 l’ont marqué, pour autant il aimait revoir son lieu de travail lors des visites de l’usine qui, à l’instar de la revue d’entreprise, semblent constitutives de la culture d’entreprise élaborée par la famille Duval.

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