Rendre visible et audible le conflit salarial de 2003
Lors du conflit salarial de 2003, la situation du syndicat CGT des Ancizes s’inscrit dans une configuration différente par rapport à celle de 1989. En effet, l’usine Aubert et Duval des Ancizes fait partie de la branche Alliages du groupe ERAMET (forte de 16 000 salariés) qui a son siège à La Pardieu (Clermont-Ferrand) et comprend, entre autres, les usines de Fortech et Interforge d’Issoire caractérisées par leur forte combativité syndicale depuis les « années 1968 ». Comment les reportages de FR3 Auvergne permettent-ils de suivre le mouvement de grève ? Comment donnent-ils la parole aux dirigeants syndicaux ? Comment les photographies prises par les acteurs du mouvement sont-elles des témoignages visuels cruciaux ?
Du 25 février au 25 mars 2003, se produit un long conflit salarial. Il démarre sur les deux sites à la suite d’une déclaration de coordination qui exige l’ouverture d’une négociation immédiate sur trois points : L’augmentation générale des salaires : au minimum 6% avec 55 € par mois de plancher ceci avec effet au 1er janvier 2003 ; La mise en place d’une grille de classification avec une valeur du point unique pour l’ensemble du personnel du groupe Eramet, avec une évolution de carrière qui tiendra compte des acquis professionnels, l’exigence de 200 € d’augmentation mensuelle pour les salaires d’A D H ; La mise en place d’une négociation indépendante sur les salaires différés (versement au C E, restaurant d’entreprise, prime de transport, mutuelle…).
Les reportages télévisuels de FR3 Auvergne permettent de suivre le mouvement de grève avec les prises de paroles des dirigeants syndicaux. Ils donnent à voir et à entendre le style tonitruant de deux délégués cégétistes d’Issoire qui renforce la position des syndicalistes de l’usine des Ancizes qui, non plus isolés, ont désormais accès à des données chiffrées sur la disparité des salaires selon les sites. Ainsi, Jean-Philippe A., représentant CGT, portant un gilet jaune sur lequel est apposé le sigle CGT, interviewé, stigmatise la faiblesse des salaires : « Il y a quand même des gens qui sont là depuis plus de 30 ans et qui ont des salaires inférieurs à 1000 euros. C’est inadmissible. On est arrivé à un point de rupture où les gens disent : « Nous, on préfère crever en luttant plutôt que de crever en travaillant »(Reportage du 21 mars).
En outre, tout un ensemble de procédés de confortation de la parole syndicale sont visibles dans les reportages télévisuels. Premièrement, le discours du délégué syndical est complété et valorisé par la voix off. « Ce conflit social est d’une rare ampleur dans cette société des Combrailles. Il a démarré le 25 février sur des revendications salariales. Depuis, le conflit s’est durci avec blocage de l’usine des Ancizes depuis jeudi »(reportage du 22 mars).
En deuxième lieu, l’accent est mis sur le soutien de la municipalité des Ancizes et celui de conseillers régionaux en faveur du mouvement de revendication[5]. En troisième lieu, dans la cour de l’usine, au moment des débrayages de 4 heures, la présence massive des grévistes, sur un fond sonore constitué de cornes et de sifflets, joue un rôle dans le processus de renforcement et de légitimation du discours syndical.
Les salariés, mains dans les poches ou bras croisés, en bleus de travail et portant des casques bleus ou jaunes, écoutent le discours du délégué syndical qui rappelle la revendication de l’harmonisation des grilles salariales et met l’accent sur les profits réalisés par l’entreprise.
Les reportages filment aussi une fiche de paye où le téléspectateur peut lire la somme de 1020, 09 euros de salaire mensuel, une preuve matérielle justifiant d’autant plus la légitimité du combat que celle-ci est confortée par des témoignages poignants d’ouvriers – pères de famille- sur la détérioration de leur situation économique.
En dernier lieu, ils révèlent une démonstration de force de la part des salariés de l’usine plus accentuée qu’en 1989. En effet, dans un climat extrêmement tendu, la mise en scène syndicale passe symboliquement par la construction d’une barrière composée de sept gros bidons de couleurs différentes sur lesquels des lettres inscrites forment le mot « GREVE » (reportage du26 février) et par une forme de détournement de la grille d’usine sur laquelle est placé le panneau du syndicat CGT.
Enfin, le mouvement de grève se matérialise visuellement par la construction d’une « paillote » au rond-point le plus proche de l’accès à l’usine, lieu de festivité et de solidarité permettant au conflit de tenir sur la durée.
Epilogue : Le mercredi 26 avril, la reprise du travail s’effectue sans protocole de fin de conflit. Le bilan du mouvement est positif : une augmentation de +2,7% pour les salaires les plus bas, ensuite dégressivité jusqu’à 1,2%. Néanmoins, à la suite de cette grève, un « plan d’adaptation » est proposé : il envisage la suppression de 750 emplois ETP dont 188 intérimaires et 562 emplois internes. L’impact des réajustements n’est pas le même selon les sites. En effet, celui des Ancizes est le plus impacté par les mesures de licenciement : 212 suppressions d’emplois dont 173 en emplois internes. En outre, un plan à long terme (2004-2008) est proposé le 16 septembre 2003 : projet d’amélioration de la compétitivité et de gestion des emplois et compétences soumis au Comité central d’entreprise pour permettre à Aubert et Duval Holding de « traverser une crise sans précédent sur le plan conjoncturel et structurel » (rapport expertise SECAFI ALPHA /examen du projet de plan de sauvegarde de l’emploi juillet 2003)