Portrait de Michel B.

Michel B.

« Nous, on a été formés sur place. Ils appelaient ça, les ouvriers-paysans »

 Né à Saint-ours en 1931, il est l’aîné d’une famille de quatre enfants. Comme il l’affirme d’emblée : « Mes parents étaient paysans à St-Ours. Ils faisaient paysans. Ils avaient des bêtes. Ils faisaient de tout comme partout dans les campagnes ».

Après l’obtention du Certificat d’études, il a travaillé dans des fermes en tant qu’ouvrier agricole mais sans avoir de statut et sans être payé : « En ce temps-là, vous savez bien, on allait chez des parents qui manquaient [de bras]. On allait travailler comme ça…Il n’y avait pas d’assurance. Il n’y avait rien. On donnait une petite pièce en attendant… ». Quant à savoir si ce travail lui plaisait, on ne peut l’affirmer puisqu’il répond : « Il fallait bien faire quelque chose, on avait le goût du travail ». Après son service militaire, il « se fait inscrire aux Ancizes et chez Michelin » : les deux usines qui recrutent et constituent l’horizon d’attente des jeunes ruraux. Il est embauché chez Aubert et Duval : « On était content d’être aux Ancizes (…) Eh bien, j’y ai passé une vie, 30 ans ». Il entre à l’usine en 1954, plus précisément à l’aciérie, « là où ils fondaient la ferraille », là où étaient installés « trois fours : un de 15 tonnes, de 30 tonnes et un troisième de 45 tonnes ». Il évoque son travail : « Je montais les poches [récipients métalliques servant à transporter le métal en fusion] pour la coulée. Les gars étaient sur le pont dans la fumée à 35 m de hauteur ». Il s’est formé sur le tas comme beaucoup des jeunes paysans venus travailler à l’usine : « Nous on a été formés sur place. Ils appelaient ça les ouvriers-paysans ». Sans y souscrire, il reprend cette désignation venue d’ailleurs, étrangère à son répertoire langagier. Il préfère détailler sa double journée de travail : « Les femmes s’occupaient de la ferme et nous on étaient là-bas 8 heures et les autres heures on était là [chez soi, dans la ferme]. On faisait trois postes. Moi, je changeais toutes les semaines. C’était dur… Le soir c’était dur. ça chauffait derrières les fours. ça coulait à 1600 degrés. Oh c’était dur ! … Fallait s’habituer …. On était bien content d’avoir du travail. On avait un petit mois qui n’était pas gros ! Et on a passé sa vie ».

A l’aciérie, il nous explique que les pauses casse-croûte n’étaient pas régulières mais dépendaient des coulées : « On pouvait casser la croûte à minuit, à deux heures du matin… ».  A plusieurs reprises, iI évoque la bonne ambiance de l’atelier : « On a eu de bons camarades. On s’entendait bien ». Cela ne l’empêche pas d’exprimer des idées stéréotypées sur les travailleurs étrangers côtoyés (Polonais, Portugais et Marocains). La double journée était dure puisqu’il aidait sa femme à la ferme : « On faisait les foins…On faisait tout. Fallait aller chercher les bêtes pour les traire …On faisait « la journée continue ». Après le poste de nuit, on dormait quelques heures et on allait faucher… et puis fallait monter sur la grande route prendre le car de Pontgibaud pour aller à l’usine ». « Comme deux cents salariés, en 1987, il est renvoyé de l’usine » : c’est une rupture même s’il ne laisse paraître aucune émotion. Sans doute un brin nostalgique, il est pourtant retourné visiter l’usine et a noté l’automatisation des postes, notamment au laminoir.  Dès cette année-là, il refait du jardin mais les choses ont changé : « Il y avait des bêtes, des moutons, tout ce qu’il faut …Maintenant, plus une bête ….Si, des chats qui se promènent ! … ».

Lorsqu’une personne de la famille entre dans la salle où se déroule l’entretien, il lui dit : « Elles voulaient me photographier mais j’y tiens pas, je ne suis pas bien beau »…. Pour nous, là n’est pas la question : nous lui avons bien expliqué le sens de cette collecte de témoignages, mais le personnage est très réservé… sans être taiseux…

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Centre d'Histoire "Espaces et Cultures"