Migrations et attractivité professionnelle aux Ancizes durant le XXe siècle

Quartier de la Croix Mallet, regroupant deux cités ouvrières qui permettent d’absorber l’afflux d’ouvriers dans les années d’après-guerre, années 1950-1960.

Les mouvements migratoires ont toujours joué un rôle prépondérant dans les territoires usiniers, et les Ancizes ne dérogent pas à la règle.

Au début du siècle, un rayonnement local et national varié

Au début du siècle, une population homogène.

En effet, au début du XXe siècle, le recensement de 1906 fait état d’une composition sociologique très homogène, avec une écrasante majorité (80 %) d’habitants du village de 1041 habitants nés sur place, comme c’était de coutume dans les zones rurales à une époque où les naissances se déroulaient à domicile et où la mobilité spatiale était relativement réduite (annexe 2). Les autres habitants proviennent assez largement d’un espace géographique de proximité restreint, dans un rayon d’une dizaine de kilomètres : ainsi après les Ancizes, les trois plus importantes communes de naissance sont Saint-Georges-de-Mons (16 % des personnes nées en dehors du village), Chapdes-Beaufort (9 %), Saint-Priest-des-Champs (7%). De ces communes proviennent le plus souvent des époux et des épouses, mais également des cultivateurs ou des domestiques venus travailler sur place, dans une économie tournée alors quasi exclusivement vers l’agriculture. Parfois, l’espoir de développer une activité artisanale ou commerciale pousse au déplacement vers les Ancizes, telle cette épicière venue de Queuille (8,5 km), ce maçon de La Goutelle (16 km), ce galochier de Gouttières (22 km) ou ce boucher et sa famille, en provenance de Combronde (29 km). Lorsqu’ils ne sont pas nés sur place, les fonctionnaires et employés des services publics sont également originaires du département, souvent de communes plus ou moins proches (le facteur est de Saint-Gervais-d’Auvergne à une quinzaine de kilomètres ; l’institutrice de Laqueuille à 45 km ; l’instituteur de Chastreix, à 65 km), avec parfois des logiques de rapprochement familial : le receveur buraliste, né à Gouttières, est le beau-frère du galochier, originaire de la même commune.
Au-delà, les étrangers au département sont principalement les employés des Ponts & Chaussées (un ingénieur, quelques conducteurs de travaux, des surveillants) venus sur place pour superviser la construction du viaduc des Fades, dont les travaux ont débuté en 1901. Il s’agit d’une demi-douzaine d’individus, originaires de l’Allier, du Lot-et-Garonne, des Pyrénées-Orientales, des Vosges ou de Gironde, auxquels il faut ajouter les membres de leur famille, souvent nés également dans d’autres départements (notamment dans les départements d’exercices précédents de ces employés). D’autres salariés des Ponts & Chaussées sont eux originaires d’un Puy-de-Dôme plus lointain (Pionsat, Montaigut-le-Blanc, Saint-Sauves, Larodde, Auzances ; la seule exception étant un employé originaire de Chapdes-Beaufort). À cette communauté étrangère aux Combrailles viennent s’ajouter quelques cas extra-ordinaires : un cafetier de Lorette (Loire), un cordonnier marseillais, un entrepreneur en travaux publics d’Indre-et-Loire ou un comptable de Saint-Etienne.

Durant l’Entre-deux-guerres, l’usine attire

Logements de fonction pour ingénieurs (villas) et ouvriers (cité Saint-Georges) dans les années 1930.

En 1936, la donne a radicalement changé. Alors que la population totale a relativement peu évolué (1065 habitants), la part de personnes nées sur place a drastiquement diminué (55% ; voir annexes 1 et 2). Le facteur principal de cette mutation démographique provient du développement de l’activité usinière sur la commune. Fondée en 1917 aux Ancizes, la Compagnie d’électrométallurgie d’Auvergne est absorbée par Aubert & Duval en 1926, faisant du petit village un des cœurs industriels de la région. Sans surprise, le village attire de nombreux travailleurs, provenant de quatre espaces différents. Il y a tout d’abord ceux qui ont abandonné – du moins statutairement – la vie agricole environnante pour devenir ouvriers. Désormais, un nombre plus grand de villages alentour rentre dans le rayon d’attraction des Ancizes : Saint-Georges-de-Mons, Chapdes-Beaufort et Saint-Priest sont toujours en tête, mais avec des parts dans la population non nées sur place moins élevées (respectivement 8 %, 8 % et 5 %), tandis que d’autres villages plus ou moins lointains gagnent en représentation, tels Saint-Jacques-d’Ambur (3,5 % ; 8 km), Saint-Ours-des-Roches (3,5 % ; 15 km), Saint-Gervais-d’Auvergne (3 % ; 17 km) ou Saint-Éloy-les-Mines (2,5 % ; 35 km). Tous ces villages, et d’autres dans le même rayon, ont des natifs qui vivent aux Ancizes, dont une proportion non-négligeable travaille pour les aciéries : jusqu’à un tiers pour ceux provenant de Saint-Éloy-les-Mines (où il existe une tradition industrielle ancienne), plus d’un quart pour ceux de Chapdes-Beaufort, par exemple.
Le second groupe concerne des Puydômois venant de communes plus lointaines, eux-aussi attirés par les divers emplois offerts chez Aubert & Duval. On retrouve ainsi un ajusteur venant de Cébazat, un ingénieur de Chanonat, un chimiste de Riom mais également un dessinateur ou un serrurier venant de Clermont-Ferrand par exemple. Le troisième groupe correspond aux employés originaires d’autres départements français. Ici se mêlent les salariés de la Compagnie Paris-Orléans qui possède la concession de la voie de chemin de fer passant aux Ancizes, ainsi que les employés de l’aciérie venant de départements plus ou moins éloignés (annexe 3a). Certains ont probablement été recrutés pour leurs compétences. Ainsi, sur six ingénieurs, quatre proviennent de l’extérieur de la région : Wuenheim (Haut-Rhin), Boëge (Haute-Savoie), Nevers (Nièvre), Saint-Chamond (Loire) ; les deux derniers provenant de Thiers et de Chanonat, au sud de Clermont ; un électricien vient d’Ussel ; un forgeur d’Unieux dans la Loire ; un lamineur, ainsi que d’autres ouvriers, sont parisiens ; un chef d’atelier de Firminy, près de Saint-Etienne ; un métallurgiste du Doubs.
Enfin, des immigrés ont fait leur apparition dans les recensements (annexe 3b). En 1936, ils sont au nombre de 26 et proviennent du Luxembourg (1), de Pologne (2), d’Italie (4), d’Espagne (4), du Portugal (15). Une écrasante majorité des hommes sont des employés des aciéries, depuis le Luxembourgeois, directeur de celle-ci, jusqu’aux manœuvres portugais. Certains ont trouvé d’autres employeurs (terrassier ou domestique) mais c’est une minorité. Plusieurs ont fondé une famille sur place, les mariages avec des femmes nées aux Ancizes n’étant pas une exception (quatre cas parmi les Portugais, un chez les Italiens par exemple). Ils forment alors la première communauté étrangère du village.

Les Trente glorieuses : accroissement de la population, des services et internationalisation de la main-d’œuvre

L’amicale des Portugais dans les années 1980 aux Ancizes, symbole de l’attachement culturel et affectif au pays d’origine.

Celle-ci s’accroit très largement dans la période suivante. En effet, le recensement de 1968 indique un très net accroissement de la population extra-ancizoise alors que la population totale – sous les effets de l’expansion de l’usine, devenue l’un des fleurons nationaux des aciers spécialisés – a gonflé (1891 habitants ; annexe 1). Désormais, avec la transformation des pratiques touchant les naissances (accoucher à la maison devient de moins en moins fréquent), seule une minorité d’habitants est originaire des Ancizes (à peine plus de 40 % ; annexe 2). Surtout, près d’un tiers de la population du village n’est plus originaire du Puy-de-Dôme : 15 % viennent d’autres départements, 15 % de l’étranger (voir annexes 4 et 5).
À l’instar de la période précédente, les activités industrielles attirent de nombreux migrants, venus dans l’intention de trouver un emploi répondant à leurs compétences, tel ce grutier charentais, ce monteur en charpentes métalliques du Nord ou ce monteur-ajusteur du Cantal pour ne citer que quelques exemples. Dans le même temps, pour répondre à une population de plus en plus grandissante et soucieuse d’avoir accès à divers produits et services, le courant migratoire couvre également ces besoins : ouvrier-boulanger du Maine-et-Loire, pharmacien de l’Aisne, menuisier-ébéniste d’Ille-et-Vilaine, garagiste-mécanicien de Reims, employée de banque d’Indre-et-Loire, buraliste du Loiret. Enfin, les fonctionnaires complètent ce tableau migratoire national, à l’image d’une institutrice creusoise, d’un instituteur ou d’un employé EDF corréziens. L’usine Aubert & Duval, en pleine expansion attire bien évidemment de nombreux ouvriers et cadres hors des limites du département : bien que le recensement ne donne plus de précisions sur l’employeur, il va sans dire qu’une part très importante des « ouvriers d’usine », « ajusteurs-monteurs » ou « contremaîtres » répertoriés sont employés par les aciéries des Ancizes qui emploie alors plus de 2500 salariés.
La population immigrée a, elle aussi, largement progressé, ayant plus que décuplé sur la période. Celle-ci est bien évidemment fragmentée : on y dénombre 41 Espagnols, 14 Algériens, 29 Polonais, 5 italiens et surtout 187 Portugais, ces derniers formant le plus grand groupe communautaire du lieu, près de 10 % de la population totale. Sans surprise, les logiques des réseaux locaux voire familiaux jouent à plein dans ces flux migratoires, sur lesquels se greffent des facteurs socio-économiques. L’écrasante majorité des Portugais proviennent ainsi de la région la plus pauvre du pays, le Nord : plus de 90 % d’entre eux arrivent ainsi d’une zone comprise dans un rayon de 30 km autour de Braga. D’autres nationalités complètent ce panorama : un Yougoslave, une Anglaise (d’origine polonaise), deux Luxembourgeois, trois Tunisiens, un Turc, un Allemand, un Belge et un Togolais (annexe 6). Les statuts de ces immigrés sont très divers et variés, mais nombre d’entre eux occupent des fonctions subalternes, telles qu’indiquées dans le recensement : maçons, manutentionnaires, employée de maison, scieur, chauffeur, femme de ménage, etc. Certains, notamment dans les nouvelles générations, tirent toutefois leur épingle du jeu, très vraisemblablement grâce à des diplômes obtenus en France : plâtrier-peintre ou fraiseur-outilleur pour ces fils d’immigrés portugais, menuisier pour tel autre, mécanicien automobile pour un dernier. Mais hormis quelques rares cas (le Yougoslave qui est chaudronnier, deux Portugais chefs d’équipe – mais certainement d’équipes composées de Portugais –, les deux Luxembourgeois chefs de four (contremaîtres), un polonais employé de bureau), les immigrés, selon des logiques classiques de l’époque, sont cantonnés à des emplois des plus modestes, souvent pénibles et dangereux dans le monde usinier (fondeurs, mouleurs, manœuvres) ou à sa périphérie (la grande majorité des Maghrébins sont des ouvriers bucherons).

Dans la décennie suivante, la dynamique se poursuit, la communauté immigrée évoluant sensiblement au gré des naturalisations, des mariages mixtes, des retours au pays, de l’arrivée de nouvelles familles (directement du pays ou après un transit par d’autres villages alentour, telle cette famille portugaise résidant auparavant à Saint-Jacques-d’Ambur et venue s’installer aux Ancizes où le père est ouvrier, au tournant des années 1970). On relève également l’apparition notable de nouvelles nationalités : près d’une vingtaine de jeunes Marocains – le plus âgé ayant 35 ans – apparaissent ainsi dans le recensement de 1975, tous ou presque avec des emplois de manœuvres, perpétuant là encore la dynamique de l’occupation d’emplois peu qualifiés pour ces travailleurs étrangers nouvellement installés dans les Combrailles.

 

 

 

 

 

 

 

 

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