Portrait d’Alain G.
Alain G.
« Je suis fier de ce que je fais »
Sur une terrasse, dans un cadre de verdure marqué par les sifflements d’oiseaux, Alain, fils d’agriculteur, retrace son parcours dans le monde industriel. Parce que son frère aîné avait repris la ferme et parce qu’il avait peu de goût pour les travaux agricoles, il poursuit des études techniques. Il suit d’abord la formation de « métallier-soudeur » à St-Eloy-les-mines puis obtient le Bac en métallerie au lycée de Felletin dans la Creuse. Après avoir travaillé pendant dix ans dans une entreprise de construction de charpente métallique, il fait « une demande chez Aubert et Duval » et « rentre dans le secteur de la forge à chaud » en tant que « chauffeur de four ». « Là, je m’occupais de toute ce qui concerne l’enfournement de four ; suivi des températures, chargement et déchargement, approvisionnement en produits…. » : un travail très physique car les horaires en 3/8 sont épuisants et les charges sont très lourdes.
Souhaitant changer de rythme de travail, et acquérir d’autres connaissances, il devint « ordonnancier » : « Là, je ne fais plus le suivi des fours. Je ne charge plus les fours. C’est moi qui créé les fournées de four ». Cette « reconversion » s’est effectuée sur le tas, autrement dit par la transmission technique des Anciens. Ainsi, il explique : « J’ai commencé en 2/8. Comme on changeait d’équipe, on avait une formation avec des personnes différentes ; Pour moi, c’était bien parce qu’on avait des avis différents, des techniques de travail différentes. On pouvait comparer les méthodes de travail et prendre celle qui nous convenait le mieux ». Dans un premier temps, Alain valorise donc cette appropriation personnelle des techniques des Anciens. Puis, à la suite d’une question relative à l’impression ressentie lors de la première journée de travail à la forge, il en vient à évoquer cette communauté de forgerons : « Déjà, [j’étais] pas très à l’aise parce qu’il faut trouver sa place dans l’atelier… C’est un monde un peu brut, ce sont des forgerons et puis on était confronté à l’ancienne génération qui avait été formée à la dure, c’est à dire à la Grande gueule ». Ce n’est d’ailleurs nullement une critique de sa part car immédiatement il revient sur la dureté et la pénibilité de leur travail : « C’était un métier où ils faisaient tout à la main ; dans le temps, ils travaillaient beaucoup à la tenaille ». Ainsi, la transmission se faisait dans la dureté des rapports humains, avec des « caractères bien forgés ».
Aujourd’hui, il est lui-même devenu formateur mais il insiste bien sur le changement d’attitude : « Ce n’est pas dans mon caractère de former ainsi. Je transmets les informations et je veille à ce qu’elles soient acquises. Et si la personne ne comprend pas, j’explique, je réexplique … ». Cette dimension de la formation l’amène donc à reconnaître que ce métier requiert certaines compétences : une aptitude à travailler en équipe et à communiquer ; un grand sérieux dans la mise en œuvre du travail décrit sur le programme et dans la surveillance des fours. Si, à plusieurs reprises, il se dit fier de ce qu’il fait, dit aimer son travail, il reconnaît aussi « qu’il faut savoir se couper de son travail ». Il dit faire « un métier assez stressant » car il a un poste à responsabilité, un poste clé dont dépend la réussite de la fournée, un poste exigeant une forte concentration pour éviter toute erreur de saisie numérique. Il a conscience aussi d’une course à la productivité et à la rentabilité : « On en demande beaucoup plus, avec moins de gens dans l’atelier ».
S’il envisage pour l’avenir une nouvelle orientation, il pense davantage à la formation qu’au management reconnaissant qu’il « n’est pas fait pour mener des hommes ». Néanmoins, à l’écoute de l’actualité sociale, il est sensible au nombre de licenciements, à la montée du chômage, et aux délocalisations industrielles. S’il dit de ne pas avoir peur, il réfléchit et s’interroge : pourra-t-il faire toute sa carrière chez Aubert et Duval ?
Finalement, il ne regrette absolument pas le monde agricole : il est salarié et peut s’adonner à des loisirs le week-end. Bien qu’il se montre réticent à évoquer la transmission d’une culture familiale, il finit par reconnaître que ses parents lui ont transmis « la rigueur », « le travail bien fait » : d’ailleurs à l’usine, on lui reconnaît ce caractère « pinailleur », qualificatif qu’il rejette au profit de « méticuleux ».