Portrait de Bernard L.

Bernard L.

« J’ai fait toute ma carrière en fonderie (…) ça été passionnant »

S’il est parfois difficile de faire émerger l’identité professionnelle dans les entretiens, dans celui mené avec Bernard L., c’est tout le contraire qui se produit. En effet, d’emblée, il se présente en déclarant : « J’ai fait toute ma carrière en fabrique. J’avais un métier particulier chez Aubert et Duval. J’étais en fonderie, si vous connaissez le métier. » C’est autour de ces deux mots clés, récurrents dans l’entretien – carrière et fonderie – que se déploie le discours, relancé parfois par des questions plus précises.  Si nous n’avons pas la chance de pénétrer dans l’usine et plus particulièrement dans la fonderie, on peut dire que Bernard L. nous offre une description particulièrement précieuse de l’apprentissage, de la configuration de l’espace et du travail à la fonderie. La date de son entrée en apprentissage à l’usine est restée gravée dans sa mémoire : « Je suis entré le 3 octobre 1960 en apprentissage. J’avais 14 ans ». Après l’obtention du Certificat d’Etudes à l’école primaire, et alors que son père « ouvrier- agriculteur » travaillait déjà à l’aciérie des Ancizes, plus précisément au laminoir et « en poste », il fait une demande d’apprentissage, acceptée par l’entreprise. Il commence alors une nouvelle formation dénommée mouleur/noyauteur/fondeur. Cependant, avant même de décrire cet apprentissage, de façon très pédagogique, il commence par nous donner la définition de la fonderie : « C’est le métier qui consiste à réaliser des pièces en coulant du métal liquide dans une empreinte en sable. Mais, il y a beaucoup de techniques pour en arriver là … ». Puis, il énumère les disciplines enseignées : « le dessin industriel, les maths, la technologie générale avec des données sur la métallurgie, la technologie spéciale au métier où on apprenait l’historique de la fonderie et les techniques employées au fil du temps ». Des cours de français étaient également dispensés et en troisième année, un cours intitulé Hygiène et sécurité. Les apprentis – au nombre d’une quinzaine par année – faisaient également des devoirs envoyés par le Syndicat général des fondeurs de France (qui avait décidé en 1923 la création de l’Ecole supérieure de Fonderie). Ainsi, Bernard L. obtient son CAP de fondeur au bout de trois ans mais surtout remporte le concours du Meilleur apprenti noyauteur de France. Or, à la fin de l’entretien, il va chercher sa récompense – une sculpture en bronze en forme de disque – sur laquelle sont gravées les deux phrases suivantes « C’est vers le haut que les flammes tendent en naissant. C’est en hauteur qu’elles s’accrochent » ainsi que l’insigne du syndicat général des fondeurs et la date de 1963. Passionné par son métier, Bernard L. nous fait entrer dans l’univers de la fonderie d’autant plus que ses descriptions sont minutieuses et imagées à la fois. Insistons d’abord sur le fait que, selon lui, la fonderie est un secteur bien particulier, un peu à part des autres secteurs tels que le laminoir ou la forge. Pour nous plonger dans la fonderie, il commence par expliciter les différentes opérations du travail – de la fabrication du moule (l’empreinte faite dans un sable spécial), le noyautage et l’extraction de la pièce autrement dit le « massiotage » après le refroidissement. Au-delà des précisions techniques qui demandent a posteriori aux chercheurs en sciences humaines que nous sommes d’ouvrir un dictionnaire, l’intérêt de l’entretien réside dans la manière passionnée de « dire » la succession des opérations à tel point qu’on a l’impression d’avoir le métal sous les yeux. C’est à ce moment précis qu’on perçoit son rapport « sensible » à la matière, son « art » de la fonderie, autrement dit celui de la transformation de la matière, et finalement la fierté du travail de fondeur. C’est d’ailleurs à ce moment qu’il ose se dire « passionné » tout en ajoutant : « C’est passionnant parce que parfois cela pose de sérieux problèmes pour obtenir les pièces que les clients veulent… ». Pour parvenir à cette maîtrise de la fonderie, son parcours professionnel a été scandé par plusieurs postes : d’abord et longuement, la fabrication des moules sur le chantier – moment où il se perfectionne puisqu’il prend des cours du soir pour passer le Brevet professionnel ; le noyautage ; enfin, le bureau technique qui le conduit à la conception puisqu’il fait des études de moulage pour réfléchir à la faisabilité de la pièce et proposer un devis aux clients. De ce fait, il est en contact à la fois avec le laboratoire de recherche pour avoir les caractéristiques des pièces et le service métallurgique pour les demandes particulières relatives aux nuances de métal. Il ne nous parle pas spontanément de « l’esprit Duval » et ne reconnait qu’à mi-mot une hiérarchisation dans l‘entreprise selon les secteurs. Il nous livre cependant une perception de l’usine : « Nous, on étaient pas mal réputés…par rapport au laminoir ou à la forge. C’était une fabrication tout à fait différente. Le laminoir, il faisait que de la barre. Le secteur forge, il forgeait [des produits] pour l’aéronautique ». On comprend également que la différence entre travailleurs réside dans le travail en poste ou en continu. Autant Bernard L. est prolixe sur les processus de fabrication et sur son métier de fondeur, autant il est difficile d’accéder à des perceptions plus personnelles sur la coexistence de la ferme et de l’emploi en usine pour son père par exemple ou sur des discussions familiales et/ou amicales sur le monde du travail. La question de la transmission n’est pas abordée : est-ce un sujet sensible ? De même, à la question portant sur un éventuel attachement à la terre et/ou à la nature, il indique ne pas « savoir » répondre. Son épouse vient alors à sa rescousse en déclarant : « Il a toujours aimé son environnement …On est resté là car on aimait notre environnement ».

Là encore, sans doute, le milieu naturel est une réalité vécue mais pas forcément dicible.

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