Portrait de Louis R.

Louis R.
« Mon père travaillait chez Michelin. Il était sorti de la terre.

Pour mes parents, il était hors de question que je revienne à la terre »

De transmission de mémoire paysanne, il n’en était aucunement question chez les parents de Louis R., né en 1966 à Cébazat dans la banlieue clermontoise. Au contraire, ils avaient donné du monde paysan une vision plutôt négative : des « taiseux ». Salarié chez Michelin, son père a imposé une trajectoire professionnelle à son fils qui pourtant « aurait bien fait maraîcher quand il était petit ».
Après une formation en électronique et informatique industrielle, il est lui-même embauché chez Michelin comme dépanneur : il a alors 23 ans. Il garde de son dernier poste – dépanneur à la fabrication – un mauvais souvenir tant les conditions de travail s’étaient détériorées. D’une très bonne ambiance, « familiale », il fut ensuite confronté à une situation plus tendue : « une compétition énorme, c’était très dur ». A la fin de l’entretien, il énoncera même le mot de « harcèlement ».
Avec sa femme maraîchère, ils cherchent « une ferme avec du terrain », ce qui les conduit dans les Combrailles où le prix du terrain est moins élevé. Ils achètent une ferme avec une grande surface herbagère. Pendant plusieurs années, Louis a une double activité : d’une part, le week-end, il travaille en tant que dépanneur dans l’usine Aubert et Duval (2001-2012) et la semaine il s’adonne au maraîchage et à l’apiculture, des travaux qui l’occupent énormément entre juin et septembre.
Dans une optique comparatiste, il nous dit qu’il a « retrouvé chez Auber et Duval cet esprit de famille ». Embauché dans le secteur Maintenance élaboration spéciale, il a apprécié l’ambiance « sympathique » un mélange de travail intense et de moments de sociabilité comme le « casse-croûte », « des repas où on était tous ». Il évoque ses débuts difficiles dus à la nécessaire acquisition de nombreux savoirs technologiques, à la maîtrise du fonctionnement des fours et aussi à l’étendue de l’usine. Il réaffirme la particularité du travail le week-end : l’absence de chef et une autonomie dans le travail. En outre, il précise ce qu’il appelle « l’esprit des Anciens », un esprit d’entraide et de formation, notamment vis-à-vis des jeunes embauchés, qui semble avoir disparu dans les années 2010. Au tournant des années 2000, les « Anciens » partent à la retraite et surtout la charge de travail se renforce tandis que le travail est plus stressant avec la crainte de l’explosion des fours, qui peut encore des années plus tard lui occasionner des cauchemars. Sur le mode pointilliste, il évoque d’ailleurs la dangerosité du travail, notamment lorsqu’ils portaient casques et harnais pour monter sur les ponts « à 12 mètres de haut » dans l’atelier de laminage. Il parle aussi de la dimension physique de l’emploi qui les conduisait « à faire des kilomètres à pied » dans l’enceinte de l’usine.
Néanmoins, comme il le dit : « J’avais envie de faire autre chose. Je ne suis pas parti parce que l’usine n’était pas bien ». En effet, il a mis en œuvre une stratégie : le travail pendant le week-end, mieux rémunéré, lui permettait une autre activité la semaine. Ainsi, ils ont progressivement augmenté leurs activités de maraîchage et d’apiculture pour « voir si c’était intéressant », autrement dit rentable. A partir du moment où ils ont vu qu’ils « gagnaient leur vie », il a pu arrêter son travail à l’usine. Le travail à l’usine, le week-end, a donc contribué à cette conversion professionnelle.
Enfin, il porte un double regard sur l’usine : d’une part, l’entreprise Aubert et Duval a longtemps offert la possibilité d’une progression interne aux ouvriers (chef d’atelier) ; D’autre part, l’usine, la nuit, a « un côté magique » : il égrène des mots tels que « grandeur », « immensité ».
Le rapport sensible à l’usine est une donnée partagée dans cette communauté de travail.

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