Camille C.
« C’était une belle entreprise qui prend des risques à travers des innovations, qui va sur des niches pour asseoir son avenir (…) tout en s’appuyant sur la connaissance acquise et le savoir-faire ».
Originaire du Puy-de-Dôme, il est arrivé dans les Combrailles lorsqu’il a été recruté à l’âge de 23 ans par l’entreprise Aubert et Duval dans laquelle il a fait toute sa carrière. C’est donc, comme il le dit, « le travail qui m’a implanté ici », ce dernier terme désignant l’espace rural autour de l’usine et notamment la commune de St-Georges-de-Mons, dans lequel il s’est « intégré » avec son épouse puis ses enfants. Muni d’un BTS fabrication mécanique, à la suite de son embauche, il signe rapidement un contrat indéterminé et fait « toute sa carrière chez Aubert et Duval ». Selon lui, le plan Davignon – un plan de réduction des effectifs dans le secteur de la métallurgie – lui a permis de devenir au bout de deux ans chef d’atelier alors qu’il n’était qu’un « jeune freluquet ». Il travaille au laminoir et au parachèvement pendant dix-sept ans. Pour les ouvriers, « les conditions de travail étaient très dures et l’environnement hostile : froid l’hiver et chaud l’été ». Puis, il a vécu « une belle expérience » dans la fonderie, un espace « plus petit où on faisait de belles pièces à l’unité ou en faible série » et où la notion de productivité n’existait pas. C’est dans le cadre de son parcours professionnel restitué dans les grandes lignes, qu’il observe les ouvriers au travail et qu’il est en mesure de livrer une analyse du personnel employé dans l’usine Aubert et Duval. En effet, à la suite d’une question portant sur la culture d’entreprise, Camille C. déclare « Ce dont je suis le plus admiratif, c’est la qualité de la main d’œuvre ». Il met l’accent sur la stabilité de la main d’œuvre qui a permis le développement et l’approfondissement de « toute une culture, tout un jeu d’observations ». Ainsi, « cette main d’œuvre stable maitrisait les procédés et avait les connaissances ». Pour lui, « c’est ce qui a fait la force d’Aubert et Duval, avec bien sûr les ingénieurs ». Et, comme il le dit un peu plus loin à propos de l’installation de Titanium et du four (une installation qui a coûté 27 millions de dollars), « ces métiers-là sont basés sur la pratique et l’observation des processus ». Il précise : « C’est le bruit, la couleur lorsque ça sort du four » qu’il faut [interpréter]…Le produit est prêt pour être transformé, forgé, laminé. C’est assez impressionnant ».
Ce qui l’impressionne, c’est la dextérité et la « connaissance » de cette main d’œuvre capable de produire des aciers spéciaux et de transmettre les procédés de fabrication. Il tient à souligner et reconnaître la valeur de travailleurs qui, selon lui, ont « l’impression de ne rien connaître », autrement dit ne se valorisent pas forcément. Ces « métiers durs » ont fabriqué des « hommes durs », ce qui s’est particulièrement manifesté au cours des deux mouvements sociaux en 1989 et en 2003. Sa position est alors difficile comme il l’énonce très clairement : « C’était très compliqué. En 1989, j’étais chef d’atelier et je venais d’être élu sur la commune de St- Georges. Et j’ai été le Premier élu sur une liste électorale identifiée à gauche et ayant des responsabilités de chef d’atelier chez Aubert et Duval ». Ainsi, le DRH l’avait convoqué l’accusant d’avoir provoqué le mouvement de grève. En 2003, ce fut aussi difficile car en tant que responsable chez Aubert et Duval, il ne voulait pas intervenir mais en tant qu’élu il « estimait que les causes de la grève étaient justes » et de ce fait voulait être considéré comme gréviste. Néanmoins, il était pris entre deux feux : « Les syndicalistes m’insultaient lorsque je rentrais et l’employeur me regardait d’un mauvais œil en sortant ». Il donne pourtant une perception très positive de l’entreprise dirigée par une famille d’industriels, attachée à la qualité de la production et tenue à l’écart du capitalisme financier. Il est en outre impressionné par le colossal investissement de Titanium qui va permettre le maintien d’emplois dans l’usine Aubert et Duval. Ainsi, pour lui, la famille Aubert et Duval « était une famille avant tout industrielle avant d’être financière », occultant le fait qu’en 1999 Aubert & Duval avait repris les sociétés de Firminy, Imphy, Issoire et Pamiers et rejoint le groupe Eramet (une entreprise minière et métallurgique française présente sur cinq continents). Au cours de l’entretien, un glissement de positionnement s’est opéré : s’il évoque au début sa carrière, il explicite ensuite les qualités de la main d’œuvre – stabilité, dextérité, expérience, savoir et savoir pratique – et tient à souligner l’importance de l’usine Aubert et Duval sur le territoire en termes d’emplois et d’aménagements publics. Autrement dit, de salarié de l’entreprise, il en vient à donner une analyse de l’entreprise dans son environnement et à souligner sa stratégie pour innover et résister à la concurrence internationale. Ce passage d’une position à l’autre s’explique sans doute par le fait qu’en 2003, date d’un plan de licenciements particulièrement dur, il fut chargé d’un projet de réindustrialisation en partie financé par l’Etat et voulu par la société « qui voulait restaurer son image de marque ». Selon lui, le bilan est mitigé : malgré la construction de zones aménagées, deux entreprises seulement, sous-traitantes d’Aubert et Duval, se sont installées pour des contrats de trois ans. Par l’évocation de faits très concrets, son témoignage montre qu’au tournant des années 2000, se produisit une modification de l’organisation de la production recentrée sur le « cœur de métier » et le recours aux sous-traitants pour les autres activités. En somme, son témoignage, très précieux, est à fois celui d’un observateur du travail à l’usine et d’un acteur politique local, soucieux du dynamisme de sa commune.