Pascal P.
« Aubert et Duval : une chose importante pour la communauté.
C’est le berceau du travail des Combrailles »
Bien que ses parents soient originaires de Lorraine, Pascal est né dans le Puy-de-Dôme et vit dans les Combrailles, un espace où il se sent « chez lui », « un petit coin de nature où on est bien » et un « espace de liberté ».
Doté d’un CAP/BEP électro-mécanique et d’un bac Pro-maintenance (lycée technique de St-Eloy-les-mines), il est embauché en 2004 dans l’usine Aubert et Duval. Après avoir travaillé au service dépannage en semaine pendant six mois, il fit le choix de travailler en 12h pendant le week end (en alternance 17h à 5 h du matin/5h du matin à 17 h). En effet, ces horaires de travail lui permettent d’avoir une vie de famille : « [j’ai] le privilège de restaurer une maison et de profiter de ma vie de famille. Je peux profiter de mes enfants, les emmener à l’école et les élever ».
En outre, à plusieurs reprises, il va évoquer l’ambiance particulière de ce service et son évolution. En effet, il appartient à cette génération de jeunes embauchés qui se sont situés à la croisée de la formation des Anciens (salariés âgés de 50 ans et plus) et des nouvelles pratiques managériales. Son regard est donc particulièrement précieux pour saisir son point de vue sur les mutations dans l’organisation du travail et les valeurs sur laquelle elle repose.
Dès le début de l’entretien, Pascal insiste sur le fait que « son métier est passionnant » et « très attrayant », de par l’autonomie dont il dispose. C’est un travail « dur », « physique », soumis à la chaleur et au froid, et imposant des kilomètres de marche à pied dans l’enceinte de l’usine puisqu’il intervient dans de nombreux secteurs (réseaux électriques, haute-tension). Néanmoins, et il va le répéter plusieurs fois, l’ambiance de travail du week-end lui convient : « On est plus décontracté. Il y a moins de monde, moins de circulation, moins d’engins de chantiers et moins de hiérarchie. Donc on est plus serein ». Certes, il y a des moments de travail intense – « des coups de bourre où on se met tous au travail » – mais entrecoupés de « moments de franche rigolade » qui, d’après lui, ne sont « pas forcément bien vus par les hauts gradés ». Ainsi, autant il respecte l’entreprise Aubert et Duval, pourvoyeuse d’emplois et de loisirs pour la population des Combrailles, autant il est plus critique sur l’émergence de nouveaux rapports hiérarchiques. Le choix des mots révèle une critique à peine feutrée : à propos de l’encadrement de base, il précise : « Des gens qui ne viennent pas du métier, qui n’ont pas d’expérience et veulent pourtant changer l’organisation du travail » ; à propos du management préconisé par la Direction, il évoque « le discours des grands pontes en haut [de la hiérarchie] ».
Il porte en effet un regard critique sur les mutations récentes du management : il regrette la séparation des services de dépannage conduisant à une forme de concurrence (dépannage, pôle opérationnel, pôle technique…) ; il souligne la diminution des effectifs visant à « baisser les coûts de production comme toujours » ; il insiste sur le « manque de confiance en l’humain » suppléé par l’écriture de (trop) nombreux rapports ; il évoque la « pression psychologique » pesant sur les ouvriers – pression dont il a conscience mais qu’il maîtrise : « Je pense bien tenir la pression et d’ailleurs ça leur casse les pieds ». Il mentionne aussi la question de la « sur-sécurité » – le « zéro-sécurité » – qui « empêche de montrer les capacités » [des ouvriers] et provoque des lenteurs dans les dépannages.
Par effet de miroir, il en vient à énoncer les méthodes de travail que les Anciens lui ont transmises. Ainsi, il affirme : « Ils m’ont transmis la passion du travail, [le goût] d’aller jusqu’au bout des choses, de bien faire son travail ». Au tout début des années 2000, « on avait les moyens de travailler, en termes d’outillage et de pièces. On agissait avant que le mal soit fait, on faisait l’entretien des machines avant que ça casse ».
Effectivement, il termine l’entretien sur une note positive en rappelant qu’il est satisfait de son « salaire qui lui permet de vivre », respectueux de l’histoire de l’entreprise Aubert et Duval qui a su s’imposer dans le domaine des aciers spéciaux et heureux de contribuer à la vie locale. Néanmoins, par petites touches, il s’interroge sur les nouvelles méthodes de gestion. Il parle au nom de la communauté de travailleurs du dépannage : « C’est une drôle de gestion. On n’est pas encore habitués. Est-ce qu’il faut qu’on s’habitue ? »
A mi-mot, on comprend qu’il pourrait être une « figure ouvrière » dans son service. Certes, il n’est pas syndiqué, mais dans des moments – exceptionnels – de rencontre avec la hiérarchie, il ne craint pas de dire ce qu’il pense des dysfonctionnements. « Lors d’un incident, on voit le Directeur. On prend le temps de discuter, et dans ces moments-là, on leur dit bien ce qu’on pense ! ».