Le café, un lieu de sociabilité
Aux Ancizes, comme partout en France, le café est un lieu central de la sociabilité villageoise ; on y vient pour discuter, se tenir informé, faire des affaires et pour consommer. Au moment où est prise cette photo, il y a dans le village dix débitants de boisson, pour une population d’un millier d’habitants environ. On est alors dans la moyenne nationale qui voit proliférer les débits, dans un contexte de très forte consommation de boissons alcoolisées : dans les années 1900, chaque Français boit ainsi 150 litres de vin par an en moyenne auxquels s’ajoutent 3,6 litres d’alcool (spiritueux, eaux-de-vie, liqueurs, etc.). Bien que le mouvement antialcoolique – autour de la Ligue nationale contre l’alcoolisme fondée en 1905 – prenne un essor considérable, la France est bel et bien le « pays du boire » et le Puy-de-Dôme ne fait pas exception. Dans les années 1900, on y dénombre alors autour de 5.600 débits de boissons, soit un débit pour 100 habitants environ. Les hommes y consomment les apéritifs de l’époque, l’absinthe en tête, star des bistrots, ou la gentiane, liqueur locale, mais également des boissons plus raffinées, comme les vermouths Dubonnet ou Byrrh aux écorces de quinquinas. Les femmes y viennent plus rarement, accompagnant leur mari ou entre amies, pour boire un mêlé-cass, mélange d’eau-de-vie et de cassis, la boisson féminine à la mode de l’époque. « Église du pauvre » à lire le moraliste Paul Leroy-Beaulieu, le café est en réalité un lieu très populaire, où on vient parfois endimanché comme sur la photo, afin d’y célébrer un évènement, politique ou familial. Chaque café dispose de sa propre identité (politique, professionnelle ou géographique – ici le « Café lyonnais » est tenu par la famille Chatard-Barse dont l’époux est originaire de Messimy, à proximité de Lyon), mais il peut être, selon sa localisation, notamment près des gares, un lieu de brassage et de passage. La clientèle ouvrière s’y rend avant et après le travail, elle s’y attarde parfois, souvent au moment de la paye, au risque d’entamer largement une partie de celle-ci. Une étude de 1913 menées chez les populations ouvrières et rurales en France indique ainsi qu’environ 4 % des salaires sont dépensés dans l’alcool, chiffre très largement sous-estimés d’après les enquêteurs de l’époque. De manière significative, le nombre de débits augmente après la création de l’usine aux Ancizes en 1907, notamment dans le quartier de la gare tout récent et tout proche ou, plus loin, autour du Viaduc des Fades. En résumé, fortement attachés à l’identité ouvrière masculine, les débits – qu’il s’agisse des estaminets, des cafés ou plus tard des bars – gardent tout au long du siècle une forte dimension de sociabilisation, de rencontre, de partage et de décompression après les longues journées de travail.